mardi 20 mars 2007

Thésard, une vie de loser?

Pour se mettre de bonne humeur... Loser, loser? Loser toi-même, non mais o! :)

Devenir chercheur en sciences humaines, un véritable parcours du combattant.
Thésard, une vie de loser
Par Clarisse BUONO
QUOTIDIEN : mardi 20 mars 2007

Clarisse Buono docteur en sociologie et chercheuse à l'EHESS-CNRS. Auteure de Félicitations du jury, Ed. Privé, collection les Clandestins, 2007.

Qui a conscience de la façon dont se traduit la paupérisation des jeunes surdiplômés aujourd'hui ? S'il est entendu que se lancer dans une carrière de chercheur n'a jamais été une sinécure, le quotidien de nombreux jeunes chercheurs de nos jours tient du sacerdoce. Car voici la vie d'un jeune chercheur en sciences humaines ou sociales aujourd'hui. Prenons un idéal type : celui d'un jeune provincial tout juste diplômé en DEA. Voulant poursuivre en thèse de doctorat, il postule dans une des universités parisiennes selon le calcul évident qu'une fois docteur, il aura plus de chances d'accéder à un poste au vu du nombre de facultés en place dans la capitale (il sait déjà que les chances sont infimes d'être recruté dans une université où l'on est inconnu). Il doit s'installer et, selon ses moyens, devra opter pour un studio (entre 500 et 800 euros de loyer mensuel) ou une colocation (s'il s'en sort bien, environ la moitié).
Une fois le «jeune» thésard (si son parcours est rectiligne, il affiche déjà un bon 24 ans) inscrit en thèse, sa tâche est claire : il a quatre ans pour obtenir son doctorat et faire en sorte de posséder un CV irréprochable en fin de thèse. Il doit, durant ce laps de temps, assister aux séminaires, colloques et autres congrès concernant son sujet, égrener la littérature s'y rapportant, réaliser un terrain si sa spécialité s'y prête (on n'attend pas moins de la part d'un jeune sociologue qu'il ait réalisé une centaine d'entretiens retranscrits pour valider ses écrits), analyser et écrire entre 300 et 500 pages dans le but de produire une pensée. L'allocation de recherche pouvant aider à ce parcours n'est allouée qu'à environ 10 % des thésards. Il faut donc pour notre Homo sociologicus trouver un moyen de gagner sa vie en même temps qu'il travaille sa thèse.
Jusque-là rien de catastrophique : qui n'a jamais travaillé pour financer ses études ? Une fois calé au milieu de ses séminaires et de ses activités hautement intellectuelles, le mi-temps au McDo ou les heures de cours privés que se procure le thésard lui permettent tout juste de régler son loyer, sa nourriture, ses charges fixes. Son emploi du temps déjà bien rempli, reste le fameux CV. Celui-ci, adjoint obligatoirement à la thèse avec mention, est le sésame à l'accès aux concours des postes de maître de conférence ou de chercheur statutaire.
Quatre cases, au minimum, doivent être remplies : thèse, enseignement, recherche, publication d'articles. Notre thésard obtient pour son plus grand bonheur des charges de cours à l'université. Puisque détenteur d'un mi-temps signé chez un employeur principal (ici, McDonald's), on lui donne le droit d'enseigner pour un an. Il commence en octobre, sera payé entre 1 200 et 1 400 euros (pour environ 76 heures) au mois... de septembre de l'année suivante. Qu'à cela ne tienne, il obtient un contrat de recherche dans la foulée où lui est offert l'équivalent du Smic pour un mi-temps de six mois. Il réalise en réalité un quart de temps sur un an l'obligeant à abandonner momentanément l'élaboration de sa thèse et son travail au fast-food (le thésard sait qu'il fait le bon choix) et ­ les fonds publics n'étant pas débloqués avant sept mois ­ devra avancer les frais durant cette période. Peu importe, lui explique-t-on, il n'a qu'à s'inscrire au chômage ; il percevra les Assédic dues pour son travail de serveur.
A cette heure, notre jeune thésard travaille à une tout autre recherche que la sienne en donnant des cours qu'il a dû produire tout en continuant à participer à des colloques pour ne pas perdre le fil de sa recherche personnelle en même temps qu'il avance les frais relatifs à sa survie. Ses revenus s'élèvent à environ 700 euros (pour les plus chanceux, la famille joue les mécènes), il en dépense les trois quarts pour survivre et le quart pour la recherche et l'enseignement. Mais l'investissement ne s'arrête pas là : pour être fin prêt au moment de son obtention de doctorat, le thésard doit participer à un nombre certain de colloques, qu'il finance de sa poche, n'étant pas rattaché statutairement à un laboratoire.
Sa participation à la recherche achevée, notre futur docteur doit se rendre à l'évidence : son nom (inconnu) n'apparaîtra pas dans la publication qui, de fait, ne pourra être exploitée dans son CV, et le contrat promis sera transformé en remboursements de notes de frais, s'il les a gardées dans le meilleur des cas. Ses Assédic sont épuisées, son CV est toujours vierge et sa thèse n'a pas avancé d'un pouce. Il reprend donc son petit boulot, se remet à travailler sa thèse jusqu'à la prochaine opportunité d'étoffer son curriculum.
Quatre ans plus tard, si toutefois il a résisté à ce rythme, le thésard (déjà âgé de 28 ans, pour les plus jeunes) devient docteur et se retrouve à postuler au milieu de 300 autres pour obtenir LE poste offert au CNRS. Bien sûr, il ne l'a pas, car lui sont reprochés son manque de linéarité dans ses recherches ou encore d'avoir mis cinq ans au lieu de quatre pour achever sa thèse.
Après une dizaine d'années de parcours de combattant universitaire, notre tout jeune docteur n'a plus qu'une solution : partir à l'étranger ou se reconvertir.
© Libération

5 commentaires:

ATER à terre a dit…

Bon, ok, ok. Tu veux nous faire passer pour des nantis thesard1? Tu veux nous faire culpabiliser parce que nous on nous rembourse une conf' par an, c'est ça?
Parce qu'on n'a jamais eu à travailler au mc do, hein?

Ahhhh ok, je file m'auto flageller avec des orties fraichement coupées!

Il est vrai que malheureusement, certains ont des conditions de travail bien pire que les nôtres!

Valise a dit…

Ah, pauvres de nous! Je me souviens de ce thésard, qui, rentré chez lui après avoir préparé un énième Mac Chicken au mac Do des Halles, est rentré chez lui, a regardé l'état de son compte sur internet, découvert de 3000 euros, a ouvert ses mails, vu qu'il était rejeté d'une revue, un autre mail, rejeté d'une conférence, puis a écouté sa messagerie, son directeur de thèse lui disant qu'il n'était bon à rien, est sorti de chez lui, a vu des étudiants de ses td le montrant du doigt en riant. Puis il s'est écroulé dans le caniveau, a pensé à ses deux enfants qu'il n'arrivait pas à nourrir, à sa femme qui l'avait quitté, à sa recherche qui n'avançait pas, à la maladie qui le guettait. Qu'est-il devenu, ce thésard typique? Finirons nous tous comme lui? Quelle voie tragique! Aller, je poste ce commentaire et repars penser à ma vie de damné, la tête entre mes mains et les larmes entre mes doigts.

Anonyme a dit…

tes mains tes mains...tu as oublié que t'avais du vendre un bras pour payer tes frais d'inscription en thèse

ATER à terre a dit…

Et n'oublie pas de récolter tes larmes, ça a une grande valeur dans certains pays. Peut-être de quoi vivre un mois (si tu n'arrêtes pas le mc do quand même ;))

Christophe Schnitzler a dit…

ils seraient donc passé en science humaines, tous les séminaristes qui ont déserté l'Eglise ?
en tout cas bravo pour "félicitations du jury", il y a beaucoup de chose qu'en tant qu'ex thésard, je retrouve;
heureusement, ma femme m'a pas encore quitté !